FENGSHUI
L’art de localiser les souffles de la terre 
Balade au cœur d’une tradition millénaire, l’occasion de parcourir les principes fondamentaux de la pensée chinoise qui s’est ingéniée à étudier le mouvement des énergies qui animent l’ensemble de l’univers. Par Gérard EDDE
L’étymologie du mot "feng shui" nous renseigne sur la nature de cet art traditionnel ancien : feng signifie "vent" et shui signifie "eau". Le feng est de type yang, Il disperse l’énergie et l’aide à circuler. Le shui, de type yin, la retient et la calme. Ces métaphores résument ainsi l’art ancien du feng shui. L’eau est le sang (xue), et le vent est le qi correspondant à la médecine traditionnelle. Un vieux texte de la dynastie des Tang précise : Le chef Liu était un grand homme, il surveillait la respiration et la superficie de son pays, il mesurait les ombres et observait les collines (…) il localisait les torrents et les sources. Dans ce poème datant de la dynastie Thou (1046-256 avant J.-C.), le héros Liu mesurait l’ombre du soleil grâce à un gnomon, et notait les directions cardinales afin d’établir les versants adret et ubac des montagnes. C’est la source de la théorie du Yin-Yang.
 
LE PAYSAGE : un tissu d’énergies en mouvement
La beauté du paysage a soulevé le cœur des poètes de toutes les cultures. Les romantiques occidentaux lui ont donné une âme et les philosophes chinois y voient le reflet de la trame des choses, un tissu d’énergies en mouvement incessant dissimulant la vacuité essentielle. Dans le Livre des Rites Funéraires (4e siècle), on voit pour la première fois apparaître une référence aux formes du paysage influençant la nature du qi. Les formes favorables pour une tombe y sont largement décrites, et les quatre animaux symboliques représentant les quatre directions y sont pour la première fois décrits. L’important était d’éviter la stagnation des énergies dans le paysage environnant les tombes. Pour l’expert en feng shui, deux clés de lecture se cachent derrière les monts, plaines et vallées : l’ombre et la lumière de l’inséparable yin-yang ; le jeu irisé des cinq mouvements fondamentaux de l’énergie : le bois, le feu, le métal, l’eau et la terre surpris dans leur danse cosmique.
 
La théorie du yin-yang
Yin/Yang est le chemin du ciel et de la terre, le principe originel des dix mille choses, le père et la mère du changement et des transformations, la racine de la naissance et de la mort… écrit Su Wen. Pour les Taoïstes, l’énergie qui donne naissance à l’univers est un profond mystère, elle est dite incompréhensible aux êtres ordinaires. Elle se situe au-delà de tout concept, au-delà du temps et de l’espace. Certains sages considèrent qu’elle est l’essence du Tao, l’insondable mystère. Sa manifestation revêt l’apparence de deux aspects antagonistes, mais indispensables l’un à l’autre : le yin et le yang. L’action et l’activité se manifestent en premier, c’est le principe yang, mais celui-ci n’est apparent que par rapport à la passivité et au rythme figé du principe yin. La tradition attribue à Fu Hi la découverte de ce principe yin-yang abondamment commenté ensuite par Hung Di, l’Empereur Jaune. Les proportions de yin-yang varient à l’infini et se manifestent en possibilités infinies. Les deux pôles se repoussent et s’attirent mutuellement, et dans la nature, rien n’est totalement yin ou yang. Ce qui est yin par rapport à une échelle de valeur, est yang par rapport à d’autres critères de jugement, car les qualités du principe yin-yang sont relatives.
 
Yin-yang et feng shui : un équilibre fragile
Bien que yin-yang doivent être en équilibre pour exister, le conflit en yin et yang constant montre que l’harmonie est toujours temporaire. Ainsi, dans le feng shui, l’équilibre est toujours fragile et provisoire et aucun équilibre ne s’obtient sans lutte. Les énergies doivent rester en harmonie ou s’affronter. L’affrontement existe dans chaque environnement, dans chaque lieu. Cet affrontement provient de la vie elle-même et de la nature non permanente des choses. Les énergies bénéfiques doivent cependant toujours être victorieuses pour que le lieu reste habitable. Par exemple, on peut vivre dans une zone marécageuse à condition que l’ensoleillement compense l’humidité ambiante, ou que l’habitation soit vraiment isolée et que des éléments viennent compenser ce déséquilibre relatif. Le livre taoïste ancien du Guan Zi datant de la dynastie des Han dresse déjà une liste sarcastique des influences de l’environnement immédiat sur la santé humaine : L’eau du Hunan est douce, légère et pure, ainsi les gens ont le cœur léger et sont confiants. L’eau du Guangdong est turbide et lourde, les gens sont fous et sales. L’eau du Shanxi contient des sédiments, de la boue et de la poussière, les gens sont envieux et machiavéliques. L’eau du Hebei est légère et turbide, les gens sont simples et chastes, prêt à donner leur vie.
 
La théorie des cinq éléments
Selon le Nei Jing, les cinq éléments sont reliés entre eux dans cet ordre : le métal engendre l’eau, qui engendre le bois, qui engendre le feu, qui engendre la terre… Il précise : La vie est réglée par les cinq mouvements symbolisés par les cinq éléments, et les influences qui la gouvernent sont au nombre de trois : le ciel, la terre, et l’homme. Ne pas comprendre ce principe, c’est s’exposer aux atteintes des influences pernicieuses. C’est le secret de l’origine de la vie et de la longévité. Quant au traité taoïste du Wu Shang Pi Yao, il nous montre l’intérêt porté par les taoïstes aux cinq couleurs fondamentales : Le monde naît de la grande vacuité alors que l’univers n’est pas encore éclairé. Ensuite, les cinq souffles se mettent à circuler et les cinq couleurs à illuminer les cinq directions. S’appuyant sur la théorie des cinq éléments, les taoïstes considèrent ainsi que les cinq couleurs fondamentales constituent l’essence des éléments dans leur forme la plus subtile. Dans le Huang Di Nei Jing, classique de médecine interne, d’autres constatations sont liées aux cinq régions symboliques associées aux cinq éléments. Des conclusions cocasses sont aussi tirées de la qualité du sol : Les gens qui vivent sur une terre ferme grandissent rapidement.
 
Un flux continu et ordonné
La théorie des cinq éléments fut rapidement mise en correspondance dans le feng shui avec les cinq directions cardinales, les cinq planètes majeures et les cinq animaux symboliques. Les cinq directions cardinales représentent les quatre directions cardinales et le centre. L’art des directions favorables deviendra l’un des piliers du feng shui ancien. Pour chaque maison, pour chaque pièce, pour chaque année, il existe une correspondance avec les cinq éléments symboliques et les huit trigrammes du yi jing. Ces pratiques curieuses relient ces différentes données en une sorte de mandala symbolique qui représente le microcosme et le macrocosme en relation étroite. Ces pratiques puisent leur origine dans la Chine ancienne et la magie des praticiens du feng shui. Selon Wei-Huo : La régulation de toutes les choses sur terre peut se réduire au pouvoir du yin-yang et des cinq éléments. En un cycle, toutes choses croissent, se développent, vieillissent et meurent. Aucun être n’échappe à l’influence du yin-yang et des cinq éléments. L'immortel taoïste Lu Dong Bin précisait : En termes de qualités énergétiques, la nature de l’eau correspond à la sagesse, celle du feu, à la bienveillance, celle du bois, à la créativité et à la gentillesse, celle du métal, à la justice, et celle de la terre, à la loyauté et à la stabilité affective. Chez un être équilibré, ces cinq natures émotionnelles sont en parfaite harmonie et se gênèrent l’une l’autre (…) On nomme cet état l’équilibre des cinq éléments. Le médecin taoïste Hua To soulignait que ces cycles influençaient les activités physiologiques : Le yin-yang est le pivot du ciel et de la terre, et les cinq éléments décident du commencement et de la fin du yin et du yang (…) Les êtres humains sont générés par les cinq éléments en un flux continu et ordonné. Aussi, images de l'univers, les cinq éléments évoluent au centre du processus physiologique de chaque phénomène naturel, manifestant un paysage organique, énergétique, psychologique et spirituel particulier.
 
La danse de l’énergie
Les taoïstes divisent cette énergie éthérée lumineuse en neuf couleurs pures, expressions de neuf royaumes ou sphères d'influence. Cette classification s'appuie sur le yi jing. La spirale d'énergie yang des "neuf royaumes" s'enroule autour de la femme de Jade et représente la force yin de manifestation, symbolisée par le chiffre six. Cette danse de l'énergie finit par perdre son impulsion originelle et par se cristalliser sous l'influence du yin. La couleur perd alors sa luminosité et sa transparence pour se matérialiser de façon plus grossière. Cette description peut ressembler à une pure spéculation mystique, cependant, toute la médecine chinoise ancienne repose sur cette conception. Cette énergie cosmique primordiale est relayée par les constellations et, à notre niveau, par les radiations subtiles et grossières des corps célestes proches de nous : les planètes, le soleil et la lune, etc.
 
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